Ce fait d’armes est une victoire décisive qui entraîne directement la chute de Batista.
Apprenant la nouvelle et que ses généraux négocient une paix séparée avec les dirigeants, le dictateur prend la décision de fuir en République dominicaine quelques heures après, accompagné de sa famille, de quelques fonctionnaires, avec parmi eux le président Andrés Rivero Agüero et son frère qui était maire de La Havane.
Les forces rebelles triomphantes dans toute l’île entreprennent de fusiller les criminels de guerre après des jugements sommaires. À Santa Clara le Che donne l’ordre de fusiller entre autres le chef de la police, Cornelio Rojas. Le colonel Joaquín Casillas, qui avait été condamné en 1948 pour l’assassinat d’un syndicaliste, Jesús Menéndez, et ensuite laissé en liberté, est détenu et meurt dans des circonstances troubles. La version officielle indique que Casillas fut tué alors qu’il essayait de s’échapper, mais il est aussi possible qu’il fut exécuté sur ordre du Che.
Le pays est alors paralysé par une grève générale demandée par Fidel Castro. Suivant ses ordres, les colonnes de Che Guevara et Camilo Cienfuegos à la tête de leurs guérilléros (dits Barbudos) se dirigent alors vers La Havane pour occuper les casernes de Columbia et la forteresse de la Cabaña les 2 et 3 janvier.
Gouvernement révolutionnaire
Che Guevara, le président Manuel Urrutia Lleó etCamilo Cienfuegos, 1959.
Le 2 janvier, Che Guevara est nommé par Fidel Castro commandant et « procureur suprême » de la prison de la forteresse de la Cabaña. Pendant les 5 mois à ce poste il décide des arrestations et supervise les jugements qui ne durent souvent qu’une journée et signe les exécutions de 156 à 550 personnes selon les sources. Les accusés sont pour la plupart des officiels du régime de Batista : policiers, hommes politiques ou personnes influentes accusées d’avoir contribué à la répression à laquelle le régime s’était livré notamment en 1958 juste avant sa chute, des membres du « bureau de la répression des activités communistes » qui avait recourt à l’enlèvement, la torture et l’assassinat, ou des militaires accusés de crime de guerre, mais aussi des dissidents politiques. Seuls les militaires et policiers sont condamnés à mort, les civils étant conduits devant un autre tribunal.
Selon un procureur qui travaillait avec Guevara pour ces accusations, les procédures étaient illégales car « les faits étaient jugés sans aucune considération pour les principes judiciaires généraux », « les éléments présentés par l’officier investigateur étaient considérés comme des preuves irréfutables », « il y avait des membres de familles de victimes du régime précédent parmi les jurés » et « Che Guevara était aussi président de la cour d’appel ». À l’inverse les médias, mêmes américains, soulignent que chaque accusé a droit à une défense équitable, à un avocat et des témoins, et que les procès sont publics. Malgré tout l’aumônier de la prison affirme que des dizaines d’innocents ont été exécutés.Alors que selon une autre source, au contraire, le père franciscain chargé d’assister les fusillés aurait avoué au Che que ceux-ci confessaient des crimes plus grands encore que ceux pour lesquels ils étaient condamnés . Ces exécutions inquiètent beaucoup les démocrates à Cuba et dans le monde, et entraînent des protestations (surtout aux États-Unis). Cependant Herbert Matthews, du New York Times, rapporte qu’il ne connaît pas d’exemple d’innocent exécuté et fait remarquer que « lorsque les batistains tuaient leurs adversaires - généralement après les avoir torturés - à un rythme effrayant, il n’y avait pas eu de protestations américaines ». Fidel Castro en visite aux États-Unis demande alors une suspension des exécutions. Le Che n’est pas d’accord avec la mesure, prétextant que « le frein des conventions bourgeoises sur les droits de l’homme avait été la raison de la chute du régime d’Arbenz au Guatemala » et que « les condamnations suivaient un jugement qui permettait la défense et portait la signature des responsables, à la différence des assassinats des dictatures latino-américaines qui n’avaient soulevé aucune protestation de la part de la presse ou du gouvernement des États-Unis, alors qu’ils avaient lieu après de terribles tortures, dans l’anonymat, et souvent sans que l’on retrouve les cadavres ». Le degré d’implication de Guevara qui a mis en œuvre le quart de ces exécutions est toujours débatte.
Le 7 février 1959 le nouveau gouvernement proclame Che Guevara « citoyen cubain de naissance » en reconnaissance de son rôle dans le triomphe des forces révolutionnaires. Le 22 mai 1959 le divorce avec Hilda Gadea (avec laquelle il s’est séparé avant même son départ pour Cuba) est prononcé, ce qui lui permet de régulariser sa situation avec Aleida March, une cubaine du mouvement du 26 juillet, qu’il a rencontrée dans la province de Las Villas en 1958 et qu’il épouse le 2 juin de la même année. Fidel Castro modifie la constitution du pays pour permettre à un étranger s’étant particulièrement illustré durant la guérilla et ayant reçu le grade de Commandant de pouvoir être membre du gouvernement. Cette modification ne concerne que l’Argentin Guevara.
Le 7 octobre, Che Guevara assisté de son second Nathanael Bennoit, devient un des dirigeants de l’institut national de la réforme agraire. Il devient également président de la banque nationale de Cuba le 26 novembre. Ce dernier poste était un peu ironique, car le Che condamne l’argent et rêve de son abolition. La signature sur les billets de banque ne portera d'ailleurs que son surnom « Che ». La nomination de Guevara a ce poste par Castro alors qu’il n’a aucune formation économique est politique : le Che sera en position stratégique pour affronter les intérêts nord-américains. Sa nomination est d’ailleurs interprétée comme une provocation par le gouvernement américain qui suspend ses crédits à l’importation.
Dès cette année 1959, il aide à organiser des expéditions révolutionnaires à Panamá et en République dominicaine, expéditions qui échoueront toutes.
À cette époque renaît son goût pour les échecs. Il participe à la plupart des tournois ayant lieu à Cuba tout en promouvant ce jeu.
Il visite Tokyo en juin 1959 pour évaluer la réforme agraire radicale effectuée par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Il note à cette occasion que la réforme agraire cubaine offre plus de propriétés privées et un meilleur taux de compensation que la réforme ayant eu lieu au Japon. Malgré ces propos, Cuba voit la plupart de ses activités nationalisées, et les libertés individuelles restreintes. De nombreux démocrates sont emprisonnés, les départs en exil se multiplient (chiffre qui atteindra 100 000 en 1961) et les journaux et chaînes de télé d’opposition sont censurées où repris en main par des partisans de Castro. Le régime devient de plus en plus autoritaire, en partie pour appliquer ses réformes de type soviétiques, mais aussi en réaction aux pressions américaines et d’une invasion qui semble inévitable au gouvernement cubain.
Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et Che Guevara discutant à Cuba en 1960. Sartre écrira plus tard que le Che était «l’être humain le plus complet de notre époque».
En mars 1960 Guevara fait partie des premiers secours aux victimes de l’explosion de la Coubre, un navire rempli d’armes à destination du gouvernement cubain. Cette opération de secours devient encore plus dangereuse quand une deuxième explosion fait plus d’une centaine de morts. Les causes de la double explosion ne seront jamais clairement établies. Le gouvernement cubain accusera la CIA et William Alexander Morgan, un ancien rival du Che dans la lutte contre Batista et soupçonné d’être un agent américain. Les exilés cubains (anticastristes) avanceront également la théorie que le sabotage a été organisé par des opposants soviétiques à Guevara. C’est au service commémoratif des victimes que la célèbre photo d’Alberto Korda du Che sera prise.
Che Guevara et Mao Zedong, 1960.
En mai 1960 Guevara a un rôle clef en tant que président de la banque centrale dans l’escalade de la tension entre Cuba et les États-Unis. Lorsque le gouvernement américain refuse que ses compagnies nationales raffinent du pétrole soviétique, il les menace de ne pas payer la dette cubaine de pétrole et de nationaliser les raffineries. Lorsque les États-Unis refusent de céder, les menaces sont mises à exécution en juillet 1960. Les nationalisations sont immédiatement suivies d’une annulation des accords commerciaux sur les achats du sucre cubains par les États-Unis. La vision idéaliste du rôle de l’argent dans la société humaine et le rôle de redistribution des richesses qu’il assigne à la banque nationale change complètement les objectifs de celle-ci mais la mènera à la faillite.
Après avoir négocié un accord commercial avec l’Union soviétique en 1960, Che Guevara représente Cuba dans de nombreuses délégations auprès de pays du Bloc de l’Est ou du mouvement des non-alignés en Afrique et en Asie suite à l’imposition de restrictions commerciales. Ces restrictions se transforment en un embargo des États-Unis contre Cuba en 1962, qui est toujours en application en 2009.
Guevara est l'instigateur du système cubain de camps de travail forcé (appelés « camps de travail correctif ») en 1960-1961, et créé le premier de ceux-ci à Guanahacabibes afin de « rééduquer » les responsables des entreprises publiques qui étaient coupables de diverses entorses à « l'éthique révolutionnaire ».
Ministre de l’Industrie et théoricien
Che Guevara et sa femme Aleida, 1961.
Guevara devient le 23 février 1961 ministre de l’Industrie. Il s’attelle à transformer l’économie capitaliste agraire de Cuba en économie « socialiste » industrielle de type soviétique. Il est l’un des participants actifs aux nombreuses réformes économiques et sociales mises en place par le gouvernement. Le Che devient alors célèbre dans le monde pour ses attaques enflammées sur la politique étrangère des États-Unis en Afrique, en Asie (guerre du Viêt Nam), mais surtout en Amérique latine.
Pendant cette période, il définit la politique cubaine et sa propre opinion dans de nombreux discours, articles, lettres et essais. Dans son livre La Guerre de guérilla (1961), il promeut la réédition dans d’autres pays de la révolution cubaine, préconisant de commencer la rébellion par de petits groupes (foco) de guérillas de paysans sans besoin de grandes organisations pour attaquer le gouvernement. Sa stratégie est ensuite de générer un sentiment révolutionnaire dans la population en augmentant l’échelle de la guérilla par étapes, avant de lancer une insurrection armée. Cependant ce modèle de « révolution à la cubaine » en Bolivie et ailleurs sera un échec à cause, selon certains, de son manque de soutien populaire. Cette stratégie est considérée aujourd’hui comme ineffective. Elle avait fonctionné à Cuba parce que la population voulait se débarrasser de Batista et parce que les fondations d’une révolution avaient déjà été jetées par d’autres tel queFrank País (assassiné par la police de Batista en 1958). Tout ce dont la population cubaine avait eu besoin lors de la révolution était une avant garde pour les inspirer.
Son essai Le Socialisme et l’homme à Cuba (1965) avance le besoin d’un « homme nouveau » (hombre nuevo) en conjonction avec « l’état socialiste ». C'est-à-dire plus qu’il préconise une révolution personnelle et morale en plus d’une simple révolution économique. L’apport d’une activité à la société par unêtre humain, en plus de son activité rémunérée, se transforme en une valeur exemplaire, source de solidarité. Pour le Che la société communiste idéale n’est pas possible sans que le peuple n’évolue en cet « homme nouveau » et l'État socialiste n’est selon lui qu’une première nécessité, une échelle destinée à être grimpée puis abandonnée dans une société d’égaux sans gouvernements ni États. Toute société qui fonctionne uniquement sur la récompense matérielle, que ce soit une économie socialiste soviétique ou capitaliste serait ainsi vouée à l’échec.
En tant qu’officiel du gouvernement et toujours aussi conscient de la valeur de l’exemple, Che Guevara s’emploie à démontrer ce que doit être cet « homme nouveau ». Il passe régulièrement ses week-ends et soirées au travail volontaire, que ce soit dans les usines de textiles, sur les ports ou à la récolte de la canne à sucre. Il pense que cela permet de garder un contact direct entre le peuple et ses dirigeantset aussi qu’un tel sacrifice et une telle implication de la part du peuple sont nécessaires pour atteindre le communisme à travers une société socialiste.
Che Guevara, sa fille Hilda et Fidel Castro, 1961.
Che Guevara sera aussi connu pour son austérité personnelle, son niveau de vie et ses habitudes simples, bien que vivant dans les quartiers privés de la capitale. Il déteste tout favoritisme lié au rang (comme c’était déjà le cas lors de la guérilla). Par exemple lorsqu’il devient membre du gouvernement, il refuse une augmentation de salaire, préférant garder sa paye de « commandante » de l’armée. Cette austérité se manifeste aussi par un mépris des richesses qu’il démontre de nombreuses fois, un exemple marquant étant lors d’un dîner avec des officiels communistes en URSS, où lorsque le repas est servi dans de la porcelaine de valeur, le Che fait remarquer sarcastiquement à ses hôtes « Est-ce de cette façon que vit le prolétariat en Russie ? » Certains voient Che Guevara comme le modèle à la fois austère et « glamour » de cet « homme nouveau ».
Guevara ne participe pas à la défense de Cuba lors du débarquement de la baie des Cochons en 1961. Il est alors placé à la défense d’une autre partie de l’île et blessé accidentellement par sa propre arme.
Il joue un rôle clef dans la crise des missiles de Cuba en négociant en 1962 à Moscou avec Raúl Castro auprès des Russes l’implantation de missiles balistiques nucléaires sur l’île. Che Guevara pense alors que l’installation de missiles soviétiques peut protéger Cuba de toute attaque militaire américaine. Dans une interview au journal britannique le Daily Worker quelques semaines après la fin de la crise, il déclarera tout en fulminant contre le recul soviétique, à moitié en plaisantant, que si les missiles avaient été sous contrôle cubain, ils les auraient utilisés.
Il est confronté à de nombreuses difficultés dans ses tâches de réforme. L’économie cubaine est souvent archaïque et décousue, donc peu encline à une rationalisation des moyens de production. En outre, Guevara fait de la lutte contre la bureaucratie naissante une de ses priorités. Le matériel envoyé par le bloc soviétique est souvent de mauvaise qualité ou obsolète. C’est à ce moment que Guevara commence à comprendre la réalité derrière les discours officiels et à perdre la foi envers le modèle soviétique et stalinienqui l’animait depuis le Guatemala, pour développer sa propre vision du communisme.
En plus de ces problèmes, et suite à l’embargo américain et à l’entrée de Cuba dans le COMECON, l’industrialisation massive est abandonnée. L’île reste un fournisseur agricole, mais cette fois-ci pour le bloc de l'Est.
Disparition de Cuba
Che Guevara à Moscou, 1965.
En décembre 1964 Che Guevara voyage à New York comme chef de la délégation cubaine à l’ONU où il prononce le 11 décembre un discours à l’assemblée générale contre la politique étrangère américaine99, participe à une émission télé et rencontre des personnalités aussi différentes que le sénateur Eugene McCarthy, des compagnons de Malcolm X ou les Rockefeller100. Le 17 décembre, il commence une tournée internationale de 3 mois au cours de laquelle il visite la Chine, l’Égypte, l’Algérie, le Ghana, la Guinée, le Mali, le Bénin, la République du Congo et la Tanzanie, avec des étapes en Irlande, Paris et Prague. À Pyongyang, il déclare que la Corée du Nord est un « modèle dont Cuba devrait s’inspirer ». À Alger, le 24 février, il fait son dernier discours sur le devant de la scène internationale où il déclare : « Il n’y a pas de frontières dans cette lutte à mort. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à ce qui se passe dans n’importe quelle partie du monde. La victoire de n’importe quel pays contre l’impérialisme est notre victoire, tout comme la défaite de quelque pays que ce soit est notre défaite. »
Il étonne alors son audience en proclamant « Les pays socialistes ont le devoir moral d’arrêter leur complicité tacite avec les pays de l’ouest exploiteurs. »
Deux semaines après son retour à Cuba où il est accueilli par Fidel et Raul Castro, il disparaît littéralement de la vie publique. Son activité en 1965 est un grand mystère étant donné qu’il est à l’époque considéré comme le numéro deux du gouvernement.
Les causes de sa disparition sont toujours controversées et peuvent être attribuées à diverses raisons :
- échec de l’industrialisation ;
- la pression des Soviétiques et d’une partie des responsables cubains sur Castro. En effet, ceux-ci désapprouvaient l’alignement économique et idéologique pro-chinois du Che, surtout à une époque où se creusait le conflit sino-soviétique et où l’économie cubaine dépendait de plus en plus de l’Union soviétique. Guevara était considéré par beaucoup comme un avocat de la stratégie maoïste en Amérique du Sud. Ses détracteurs comparaient son plan d’industrialisation au « grand Bond en avant » chinois ;
- d’autres suggèrent que Castro avait pris ombrage de la popularité de Guevara et commençait à le considérer comme une menace. Ils trouvent suspectes ses explications sur sa disparition et sont surpris que le Che n’ait jamais fait une annonce publique de ses intentions.
Après la crise des missiles cubains et ce qu’il a pris comme une trahison de Khrouchtchev qui a donné son accord au retrait des missiles sans consulter Castro, Che Guevara est devenu sceptique quant au rôle de l’URSS. Comme révélé dans son dernier discours à Alger, il en est venu à la conclusion que l’hémisphère Nord, mené par les États-Unis dans l’ouest et l’URSS dans l’est, exploite l’hémisphère Sud. Il soutient le Vietnam du Nord dans la guerre du Vietnam et encourage les peuples des autres pays en voie de développement à prendre les armes et a créer « de nombreux Viêt Nam ». Cependant, aussi bien Guevara que Castro sont partisans d’un « front anti-impérialiste uni » et tentent à plusieurs reprises de réconcilier l’Union Soviétique et la Chine.
Pressé par la spéculation internationale et les rumeurs quant au destin du Che, Fidel Castro déclare le 16 juin 1965 que le peuple sera informé à propos du Che quand lui-même l’aura décidé. Le 3 octobre, Castro dévoile une lettre non datée, écrite par Guevara à son attention, dans laquelle il réaffirme sa solidarité avec la révolution cubaine mais déclare son intention de partir combattre à l’étranger pour la révolution. Il annonce également sa démission de tous ses postes au gouvernement, au parti et dans l’armée. Il renonce aussi à la citoyenneté cubaine qui lui a été donnée. Castro révèlera peu après qu’il savait où Guevara était mais qu’il ne le dirait pas, ajoutant que son ancien compagnon d’armes était en bonne santé.
Malgré les assurances de Castro, la destinée de Che Guevara reste un mystère et un secret bien gardé pour les deux années à venir.
Congo
Pendant leur réunion durant la nuit du 14 au 15 mars 1965, Guevara et Castro se sont mis d’accord pour que le Che mène personnellement la première action militaire cubaine en Afrique sub-saharienne. Des sources mentionnent que Guevara aurait convaincu Castro à le soutenir dans son effort tandis que d’autres sources maintiennent que c’est Castro qui aurait convaincu Guevara d’entreprendre cette mission, argumentant que les pays d’Amérique latine visés n’étaient pas encore dans les conditions voulues pour y établir des focos (« foyers ») de guérilla. Castro lui-même affirmera que la dernière version était la bonne .
D’après Ahmed Ben Bella, qui était président d’Algérie à l’époque et avait beaucoup discuté avec Guevara, « La situation en Afrique semblait avoir un énorme potentiel révolutionnaire, ce qui amena le Che à la conclusion que l’Afrique était le maillon faible de l’impérialisme. C’est à l’Afrique qu’il décida de dédier ses efforts. »
L’opération cubaine est planifiée pour aider le mouvement marxiste Simba pro-Patrice Lumumba(dont l’assassinat en 1961 avait indigné Guevara) au Congo-Kinshasa (ancien Congo belge, futurZaïre et actuelle République démocratique du Congo). Guevara, son second Victor Dreke et 12 Cubains arrivent au Congo le 24 avril 1965. Un contingent d’environ 100 Afro-Cubains les rejoint peu après. L’arrivée du Che est tenue secrète même pour les membres de la guérilla congolaise.
Ils collaborent un moment avec le dirigeant Laurent-Désiré Kabila, avec qui ils organisent le maquis d’Hewa Bora. Kabila aide alors les partisans de Lumumba à mener une révolte qui est éliminée en novembre de la même année par l’armée congolaise. Guevara considère bientôt Kabila comme insignifiant et écrit : « Rien ne m’amène à penser qu’il soit l’homme providentiel ».
Bien que le Che ait 37 ans et aucune formation militaire classique (il avait été réformé du service militaireargentin à cause de son asthme, chose dont il était fier à cause de son opposition au gouvernement Perón), il a déjà fait l’expérience de la guérilla cubaine et de sa marche décisive sur Santa Clara. Des mercenaires sud-africains tels que Mike Hoare et des exilés cubains opposés au régime castriste travaillent avec l’armée régulière congolaise pour lutter contre Guevara. Ils réussissent à intercepter ses communications, tendent des embuscades contre les rebelles à chaque fois qu’ils tentent une attaque et coupent ses lignes d’approvisionnement. Bien que Guevara tente de dissimuler sa présence au Congo, le gouvernement US est informé de sa localisation et de ses activités. En effet, le National Security Agency (NSA) intercepte toutes ses transmissions grâce à l’équipement du USNS Valdez, un navire d’écoute de l’océan indien.
Le but du Che est d’exporter la révolution cubaine en formant les combattants Simba à l’idéologie communiste et aux stratégies du combat de guérilla. Mais l’incompétence, l’intransigeance, les rivalités internes des rebelles congolais sont citées dans son journal du Congo comme les raisons principales de l’échec de la révolte. Au lieu de s’assurer le soutien des populations locales, les combattants congolais pillent parfois des villages et tuent des civils. Le commandement unique n’existe pas et les chefs locaux rivalisent entre eux pour obtenir argent et matériel qu’ils emploient pour leur profit personnel. Certains responsables de la guérilla sont même assassinés par des rivaux. Enfin, les troupes inexpérimentées croient plus en la sorcellerie qu’à l’instruction militaire des Cubains, ce qui entraînera défaite sur défaite.
Après sept mois de frustration, malade de la dysenterie et souffrant de l’asthme, débordé par les troupes de Mobutu, Guevara quitte le Congo avec les survivants cubains (six membres de sa colonne sont morts sur 200). Ils doivent abandonner une bonne partie des combattants congolais faute de place dans les embarcations qui retraversent le lac Tanganyika. À un moment, le Che estime devoir rester seul pour combattre jusqu’au bout comme exemple pour la révolution. Il en est dissuadé par ses compagnons et deux émissaires spéciaux envoyés par Castro. Quelques semaines plus tard, quand il écrit la préface de son journal du Congo, il la commence avec les mots: « Ceci est l’histoire d’un échec ».
Clandestinité
Faux passeport du Che (déguisé), au nom d’Adolfo Mena González, créé par les services secrets cubains en 1964 pour ses voyages clandestins.
Parce que Castro a rendu publique la « lettre d’adieu » du Che dans laquelle il coupait tout lien avec Cuba pour se dédier à ses activités révolutionnaires ailleurs dans le monde (alors qu’elle n’aurait dû être dévoilée que dans le cas de sa mort), celui-ci sent qu’il ne pourra pas revenir à Cuba pour des raisons morales. Il passe les 6 mois suivants dans la clandestinité à Dar es Salam et Prague où il compile ses mémoires sur le Congo et les manuscrits de deux livres, un de philosophie117 et un d’économie118. Il visite aussi plusieurs pays d’Europe de l'Ouest dans le but de tester une nouvelle fausse identité et les documents (passeport, etc.) créés pour lui à cet effet par le DGI, les services spéciaux Cubains, en vue de son futur voyage en Amérique du Sud.
Pendant cette période, Castro continue à demander son retour à Cuba. Guevara y consent mais à condition que sa présence à Cuba reste secrète et que son séjour serve à organiser une nouvelle révolution quelque part en Amérique du Sud. Afin d’éviter tout risque de fuite, c’est même déguisé et à leur insu qu’il visitera ses enfants
Le Che hésite beaucoup à commencer une guérilla en Argentine, son pays natal, mais en est dissuadé par Fidel Castro qui pense que l’armée argentine est beaucoup plus efficace que la bolivienne.
En 1966 et 1967 la localisation du Che est toujours tenue secrète. Des représentants du mouvement d’indépendance du Mozambique disent avoir rencontré Guevara fin 1966 ou début 1967 à Dar es Salam, où ils auraient rejeté son offre d’assistance à leur révolution121. Dans un discours en mai 1967, le ministre de la Défense de Cuba annonce que Guevara « sert la révolution quelque part en Amérique du Sud ».
Bolivie
Guérilla
En 1966 la Bolivie est gouvernée par une dictature militaire dirigée par le général René Barrientos, qui avait renversé dans un coup d’État le président élu Víctor Paz Estenssoro et mis fin à la révolution de 1952.
À la demande de Castro, un terrain est acheté dans la jungle de la région isolée et montagneuse de Ñancahuazú par le parti communiste bolivien pour servir de camp d’entraînement. Ce camp est situé dans une zone géographique très éloignée des demandes de Guevara qui s’incline néanmoins afin de ne pas perdre de temps. Il y arrive le 7 novembre 1966, jour où commence son Journal de Bolivie. Auparavant, c’est déguisé en prêtre qu’il est allé rencontrer Juan Perón exilé à Madrid afin d’essayer d’obtenir sans succès l’assistance des péronistes argentins dans la guérilla bolivienne.
Le groupe de 47 guérilleros est composé en majorité de Boliviens mais aussi de seize Cubains de l’entourage très proche de Guevara et de quelques Péruviens et Argentins. Le groupe prend le nom d’ELN (Ejército de Liberación Nacional : armée de libération nationale) avec des groupes d’appui en milieu urbain.
Peu sera accompli pour créer une véritable armée de guérilla, qui ne recueillit jamais l’adhésion de la paysannerie. Guevara pensait avoir l’assistance des dissidents locaux. Or, le parti communiste local est plus tourné vers Moscou que La Havane et ne l’aide pas malgré ses promesses. De plus, l’inflexibilité du Che qui refuse de laisser le contrôle de la guérilla au PC bolivien plutôt que faire un compromis n’aide pas à conclure un accord avec le secrétaire général Mario Monje qui vient les rencontrer clandestinement. Cette tendance existait déjà lors de la campagne cubaine mais avait été limitée par la diplomatie de Castro. L’agent de liaison principal à La Paz,Haydee Tamara Bunke Bider dite « Tania », l’unique femme du groupe, est une ancienne membre de la Stasi, aussi considérée comme un agent du KGB. Cette dernière aurait inconsciemment ou non aidé les intérêts soviétiques en mettant les autorités boliviennes sur la piste de Guevara.
Le 9 mars 1967 des militaires en congé et en civil allant pêcher rencontrent des guérilléros (la rencontre est pacifique) et le 11, deux déserteurs de l’ELN sont capturés, ce qui alerte le gouvernement bolivien qui demande alors l’aide des États-Unis et des pays voisins. Sur indications des déserteurs, le campement est découvert, ainsi que peu après de nombreuses caches qui contiennent documents, vivres et photos qui servent à l’identification du Che par la CIA. Les guérilléros doivent abandonner leur campement pour échapper à un encerclement de l’armée bolivienne et prendre dans leurs rangs des membres de la section de soutien urbain comprenant Tania, le Français Régis Debray et l’Argentin Ciro Bustos.
Che Guevara en Bolivie peu avant sa mort, 1967.
Le 23 mars, les forces de Guevara sortent victorieuses de premières escarmouches contre l’armée régulière beaucoup moins expérimentée dans un terrain difficile et montagneux. Mais, les guérilléros ne disposent plus d’un contact radio constant avec La Havane car les deuxtransmetteurs fournis sont défectueux (sur ce point et sur beaucoup d’autres, l’inorganisation et le manque de préparation ont fait que certains historiens suspectent même un sabotage). L’unique lien des guérilléros avec le monde n’est plus qu’un vulgaire récepteur radio. Malgré la nature violente du conflit, Guevara donne des soins médicaux à tous les soldats boliviens blessés et relâche tous les prisonniers.
Le Che divise ses forces le 17 avril, afin d’extraire de la zone Régis Debray et Ciro Bustos qui ne supportent plus les conditions de vie de la guérilla et pour qu’ils puissent transmettre des messages à Cuba et aux communistes argentins. Guevara met Juan Vitalio Acuña Núñez(«Vilo») au commandement de la deuxième colonne. Les deux groupes ne peuvent se retrouver au point de rencontre prévu trois jours après, car Vilo a été obligé de se déplacer en raison de la proximité de l’armée bolivienne. En l’absence d’un lieu de rendez-vous alternatif et n’ayant aucun moyen de communications entre eux, ils ne pourront jamais se réunir à nouveau.
C’est à cette période que Guevara écrit le Message aux peuples du monde qui est lu à la réunion tricontinentale (Asie, Afrique et Amérique Latine) à Cuba, et qui contient ses affirmations les plus radicales et accablantes : il y propose une guerre mondiale ouverte contre les États-Unis, en pleine contradiction avec la coexistence pacifique prônée par l’Union Soviétique et les partis communistes d’Amérique latine. Le Che commence le document avec une de ses phrases les plus célèbres:
- « Créer deux, trois… de nombreux Vietnam, telle est la consigne. »
L’ELN est durement frappé le 20 avril lorsque Régis Debray et Ciro Bustos sont capturés. Tous deux sont torturés par les forces gouvernementales et livrent des informations clefs dont la confirmation de la présence du Che en Bolivie. Les preuves d’un accord de Debray avec la CIA (informations contre arrêt des tortures et promesse d’une peine clémente) ont été découvertes ; d’autres évoquent également d’informations et de dessins donnés par Bustos en échange d’un traitement de faveur pour l’identification du groupe. Aucune version n’a pu être confirmée à ce jour, mais il semble vraisemblable qu’un ensemble de renseignements, suite à leurs interrogatoires respectifs aient permis de rassembler assez d’éléments pour permettre aux forces boliviennes d’identifier, tracer et intercepter le groupe . Ciro Bustos vit quant à lui en exil en Suède.
Guevara pense avoir uniquement affaire à l’armée bolivienne, mal entraînée et mal équipée. Cependant, quand le gouvernement américain apprend sa localisation, la CIA et les Special Forces (incluant un bataillon de United States Army Rangers basé non loin de la zone de guérilla), sont envoyés pour entraîner et soutenir les militaires boliviens. En mai, l’armée arrête les paysans soupçonnés d’aider les guérilléros et a auparavant enlevé les médicaments contre l’asthme de tous les hôpitaux de la région.
De nombreux combats ont lieu durant l’été et le 1er août la CIA envoie deux agents cubano-américains pour renforcer la recherche de Guevara, Gustavo Villoldo et Félix Rodríguez, ce dernier avait précédemment infiltré Cuba pour préparer l’invasion de la baie des cochons. Le 31, la colonne de Vilo Acuña qui inclut Tania est prise dans une embuscade alors qu’elle traverse une rivière et tous sont tués sauf un, Restituto Cabrera, qui réussit à s’échapper mais est capturé et exécuté sommairement le 4 septembre. Leurs corps sont d’abord exposés comme trophées puis enterrés clandestinement.
Le dernier contact de la partie urbaine de l’ELN est arrêté le 15 septembre, alors que le dernier membre des services secrets cubains a été inexplicablement rappelé au pays par son chef, Manuel Pineiro, pro-soviétique et opposant à Che Guevara. Contrairement à ce qui c’était passé au Congo, aucune tentative n’est faite par Cuba pour aller secourir ou aider Guevara et ses hommes. Isolée, la colonne du Che est physiquement à bout, n’a plus d’eau potable et doit parfois porter son chef qui souffre de terribles crises d’asthme. Malgré tout, Guevara a toujours la même volonté et pousse toujours ses hommes en avant, comme lors du passage d’un précipice que les autres jugent impossible, mais qu’il franchit malgré son état :
- « Imbécile, il n’y a rien d’impossible dans cette vie, tout est possible, les impossibilités c’est l’homme qui les fait et c’est l’homme qui doit les dépasser ! »
Le groupe voit sa retraite coupée vers le Río Grande, ce qui l’oblige à remonter dans les montagnes vers le petit village de La Higuera où l’avant-garde est prise en embuscade et perd trois hommes le 26 septembre. Les 17 survivants s’échappent une fois de plus et le 7 octobre commencent à redescendre vers le Río Grande.
Capture et exécution
École de La Higuera où Guevara fut exécuté à 13 h 10 le 9 octobre 1967, maintenant un musée.
Les forces spéciales boliviennes apprennent par un informateur le lieu du campement de la guérilla. Plus de 1 800 soldats sont arrivés au village de La Higuera. Le 8 octobre 1967, le campement est encerclé dans le ravin de Quebrada del Yuro et Guevara ordonne de diviser le groupe en deux, envoyant les malades en arrière et restant avec le reste des guérilleros pour retenir les troupes boliviennes.
Après trois heures de combat, le Che est capturé avec Simón Cuba Sarabia. Il se rend après avoir été blessé aux jambes et que la culasse de son fusil a été détruite par une balle. Selon les soldats boliviens présents, il aurait crié : « Ne tirez pas, je suis Che Guevara et j’ai plus de valeur pour vous vivant que mort »ou « Il vaut mieux que vous ne me tuiez pas, je suis le Che ». Cette déclaration est en totale contradiction avec le comportement du Che lors de la guérilla cubaine qu’il voulait toujours exemplaire, mais pourrait être expliquée par le fait qu’il pensait que la situation était sans issue. Une autre version de sa capture indique que ce n’est qu’une fois arrêté qu’il aurait simplement murmuré « Je suis Che Guevara » pendant que les soldats cherchaient la confirmation leurs identités dans la documentation fournie par la C.I.A. et les services secrets boliviens Le groupe de guérilleros est dispersé. Trois hommes sont morts et un autre gravement blessé, les autres sont capturés ou tués par l’armée les jours suivants. Cinq parviennent finalement à atteindre la frontière chilienne et sont alors protégés et évacués par le sénateur socialiste Salvador Allende après avoir perdu un de leurs compagnons grièvement blessé par l’armée bolivienne qu’ils avaient alors dû achever. Selon Harry Villegas («Pombo»), un des survivants, si Guevara avait choisi de fuir avec eux, il aurait survécu.
Quand il est emmené et qu’il voit des soldats boliviens qui ont été aussi blessés dans l’affrontement, Guevara propose de les soigner, mais son offre est refusée par l’officier responsable. Les deux prisonniers sont emmenés dans une école abandonnée dans le village voisin de La Higuera. Les corps des autres guérilleros y sont entreposés et Juan Pablo Chang capturé le lendemain, y est détenu au milieu des cadavres. Le 9 octobre au matin, le gouvernement de Bolivie annonce la mort de Che Guevara la veille dans des combats. Au même moment arrive à La Higuera le colonel Joaquín Zenteno Anaya et l’agent de la CIA Félix Rodríguez. A 13h00, le président Barrientos donne l’ordre d’exécuter les guérilléros. Même s’il n’a jamais justifié sa décision, des collaborateurs pensent qu’il ne voulait pas d’un procès public qui aurait attiré l’attention internationale non désirée sur la Bolivie comme cela fut le cas lors du procès Debray. Il ne voulait pas non plus que le Che soit condamné à une peine de prison et qu’il puisse être relâché, comme Castro en son temps.
Il existe des doutes et de nombreuses versions sur le degré d’influence de la CIA et des États-Unis dans cette décision. Le président Barrientos voit l’ambassadeur des États-Unis la veille de l’exécution du Che. Des documents de l’agence déclassifiés sous la présidence de Bill Clinton montrent que la CIA voulait éviter que l’aventure de Guevara en Bolivie se termine par sa mort mais d’autres sources montrent qu’au contraire la CIA aurait fait pression pour que Guevara soit fusillé. Ce qui est certain c’est que la CIA était sur les lieux au moment de la mort du Che.
De même plusieurs versions existent sur qui a donné l’ordre d’exécuter Guevara. Selon certaines sources, c’est l’agent Rodríguez qui reçoit l’ordre d’exécuter Guevara par radio de Zenteno et les transmet aux officiels cubains présents sur place. Selon d’autres témoignages dont celui du pentagone, c’est le capitaine Gary Prado Salmon, chef des rangers boliviens qui a décidé d’exécuter le Che, ou selon d’autres biographes, son supérieur, le colonel Zenteno qui lui en a donné l’ordre, sur instruction de Barrientos. Rodriguez raconte qu’il a reçu l’ordre de maintenir Guevara vivant pour l’interroger lorsque la CIA apprend la capture. Un hélicoptère et un avion étaient affrétés pour pouvoir l’amener au Panamá mais le colonel Joaquin Zentena, commandant les forces boliviennes dit qu’il n’avait d’autre choix que d’obéir à ses supérieurs.
Rodríguez donne les instructions pour l’exécution à Mario Terán, un sergent de l’armée bolivienne, afin de ne pas le défigurer et que les blessures infligées à Guevara aient l’air d’avoir été au combat. Selon les versions, Teràn avait été désigné pour tuer Guevara par le hasard d’un tirage à la courte pailleparce qu’une querelle sur qui aurait ce « privilège » avait eu lieu dans la troupe, ou sur ordre direct du colonel Zenteno. Dans le récit de Rodriguez, c’est lui qui annonce son exécution à Che Guevara. Ce dernier lui confie un message pour sa femme, les deux hommes s’embrassent puis Rodriguez quitte l’école. Cette version est contestée par le chef des forces spéciales boliviennes, le capitaine Gary Prado, qui souligne au contraire que Rodriguez n’avait eu qu’un seul échange avec Guevara : Rodriguez avait menacé le Che qui lui avait en réponse craché au visage en l’accusant d’être un traître.
Entre temps de nombreuses personnes ont pu venir rendre visite à Guevara, dont l’institutrice du village qui lui apporte à manger et rapporte une réponse du Che lors de sa dernière discussion avec lui :
- «Pourquoi avec votre physique, votre intelligence, votre famille et vos responsabilités vous êtes vous mis dans une situation pareille ?
- - Pour mes idéaux»
Peu avant le Che, Simeón Cuba et Juan Pablo Chang sont exécutés sommairement.
En 1977, la revue Paris Match publie un entretien avec Mario Terán qui relate les derniers instants de Che Guevara :
- «Je suis resté 40 minutes avant d’exécuter l’ordre. J’ai été voir le colonel Pérez en espérant que l’ordre avait été annulé. Mais le colonel est devenu furieux. C’est ainsi que ça s’est passé. Ça a été le pire moment de ma vie. Quand je suis arrivé, le Che était assis sur un banc. Quand il m’a vu il a dit «Vous êtes venu pour me tuer». Je me suis senti intimidé et j’ai baissé la tête sans répondre. Alors il m’a demandé: «Qu’est ce qu’ont dit les autres ?». Je lui ai répondu qu’ils n’avaient rien dit et il m’a rétorqué: «Ils étaient vaillants!». Je n’osais pas tirer. À ce moment je voyais un Che, grand, très grand, énorme. Ses yeux brillaient intensément. Je sentais qu’il se levait et quand il m’a regardé fixement, j’ai eu la nausée. J’ai pensé qu’avec un mouvement rapide le Che pourrait m’enlever mon arme. « Sois tranquille me dit-il, et vise bien ! Tu vas tuer un homme !». Alors j’ai reculé d’un pas vers la porte, j’ai fermé les yeux et j’ai tiré une première rafale. Le Che, avec les jambes mutilées, est tombé sur le sol, il se contorsionnait et perdait beaucoup de sang. J’ai retrouvé mes sens et j’ai tiré une deuxième rafale, qui l’a atteint à un bras, à l’épaule et dans le cœur. Il était enfin mort.
Exposition du corps de Che Guevara à Vallegrande. Photo prise par un agent de la CIA, 10 octobre 1967.
Son corps et ceux des autres guérilleros morts sont emmenés par l’armée bolivienne avec l’aide d’officiers américains et d’agents de la CIA en hélicoptère à Vallegrande, où ils sont exposés pour les medias du monde entier dans l’hôpital local. Des centaines de personnes, soldats, civils et curieux viennent voir le corps. Les nonnes de l’hôpital et les femmes de la ville notent sa ressemblance avec les représentations de Jésus et coupent de mèches de ses cheveux pour les garder en talisman. Les photographies qui sont prises du Che aux yeux ouverts donnent naissance à des légendes telles que San Ernesto de La Higuera et El Cristo de Vallegrande. Un culte religieux du Che lié au catholicisme est apparu au début des années 1990 dans les régions de Vallegrande et de La Higuera, avec des messes dites en son nom.
Après son amputation des mains par un médecin militaire afin d’authentifier le corps et de garder une preuve de sa mort, des officiers boliviens transfèrent les dépouilles dans un endroit tenu secret. Après son exécution, les militaires boliviens et Félix Rodríguez se partagent les possessions du Che, y compris deux montres (dont une Rolex qui avait été remise au Che par un de ses compagnons mourant) et le journal de Guevara en Bolivie qui disparaît pendant des années. Aujourd’hui certaines de ses affaires, y compris sa lampe torche, sont exposées au siège de la CIA.
Le 15 octobre, Castro reconnaît la mort de Guevara et proclame trois jours de deuil national. Sa mort est perçue sur le moment comme un coup sévère porté à la révolution sud-américaine et au Tiers monde.
En 1997, les restes de Guevara et de plusieurs guérilleros sont exhumés et identifiés par analyse de l’ADN, puis renvoyés à Cuba. Il est enterré avec six de ses compagnons d’armes de Bolivie dans un mausolée situé dans la ville de Santa Clara après des funérailles de héros national.
Exemplaire et arrogant
Che Guevara et Gamal Abdel Nasser, 1965.
Le Che était obsédé par le fait de montrer l’exemple en tout point pour lui-même et pour ses hommes. Non seulement en se surpassant physiquement comme il le faisait en luttant constamment contre son asthme dans les jungles des différentes guérillas (et en fumant le fameux havane), mais aussi en s’assignant lui-même les missions les plus dangereuses - son groupe de guérilla à Cuba était baptisé peloton suicida (commando suicide) - , les travaux les plus durs et la discipline la plus sévère. Il commente au président Nasser lors d’un voyage officiel en Égypte :
« Le moment décisif dans la vie de chaque homme est quand il doit décider d’affronter la mort. S’il la confronte, il sera un héros, qu’il réussisse ou non. Cela peut-être un bien ou un mal politique, mais s’il ne se décide pas à l’affronter, jamais il ne cessera d’être seulement un politicien. »
Il rejetait les privilèges, même les plus anodins, qui auraient pu le favoriser vis-à-vis de ses hommes et continua de même lorsqu’il devint ministre : « On commence comme cela, avec des petits privilèges, et ensuite on s’habitue et on justifie des privilèges de plus en plus grands, jusqu’à ce que le dirigeant se transforme en un assisté insensible aux besoins des autres »
Le fait de pouvoir incarner cet exemple lui fit développer une certaine impatience envers les moins doués ou les moins motivés, ce qui peut s’interpréter comme de l’arrogance164. Il passait toutefois beaucoup de temps au cœur de la sierra à apprendre à lire et écrire à des guérilleros souvent analphabètes.
Impitoyable et humain, idéaliste et extrémiste
Che Guevara était l’adepte de solutions extrêmes dans la défense de ses idées et pas seulement en théorie. Toujours au nom de l’exemple, il se chargea de l’exécution de membres de la guérilla condamnés pour trahison par les guérilleros. Fidel Castro lui confia le commandement du tribunal révolutionnaire de la Cabaña chargé de juger les responsables du régime de Batista car il savait que Guevara ne montrerait aucune clémence, la sentence de ceux condamnés pour exactions ou tortures était presque toujours la mort. Régis Debray, son ancien compagnon de Bolivie, fait remarquer « la haine efficace qui fait de l’homme une efficace, violente, sélective et froide machine à tuer». Castro louait même « sa qualité d’agressivité excessive ».
Pour le Che, sa conduite était dictée par la révolution mondiale qui était une véritable lutte à mort contre l’impérialisme, et il s’en justifia officiellement :
« Nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons à fusiller tant que cela sera nécessaire. Notre lutte est une lutte à mort. »
le 11 décembre 1964, devant l’Assemblée générale des Nations unies.
Il était prêt à se sacrifier lui-même pour son monde meilleur, comme il l’exigeait de ses hommes, et Fidel Castro le réprimanda plusieurs fois pendant la guérilla cubaine à cause des risques qu’il prenait. À l’opposé, Che Guevara montrait de l’humanisme envers les soldats ennemis prisonniers ou blessés au combat, et les soignait comme ses propres hommes, depuis les débuts de la révolution cubaine jusqu’à la veille de son exécution en Bolivie où même prisonnier et blessé, il proposa ses services de médecin à ses geôliers.
Communiste et électron libre
Bien que fervent marxiste, Che Guevara défendait la particularité de ses idées et leur application contre Fidel etRaúl Castro ce qui valut de nombreuses disputes. Il était contre l’alignement sur le bloc soviétique, contre la bureaucratie naissante à Cuba (mais pour la centralisation), contre le gaspillage, contre l’exploitation du tiers monde et contre les privilèges. Il employait un ton et un discours franc et direct mais dénué de toute diplomatie et de calcul politique. Ceci lui attira de nombreux partisans mais lui créa aussi de nombreux ennemis. Si à Cuba l’habileté politique de Fidel Castro permit de rattraper ce trait de caractère, ce fut une des causes de ses échecs au Congo et en Bolivie.
Provocateur et spirituel
Enfin, le Che ponctuait souvent de remarques humoristiques et provocatrices ses déclarations ou conversations privées ou officielles. Ainsi, en tant que ministre de l’Industrie, il termina une de ses lettres (adressée à un psychiatre ayant édité une revue médicale spécialisée en deux fois plus d’exemplaires qu’il n’y avait de médecins à Cuba, alors que le papier manquait cruellement) par la phrase :
« La revue est bien, le tirage intolérable. Crois-moi, parce que les fous disent toujours la vérité. »
Lorsque sa deuxième fille Aleida naît, Guevara est en voyage officiel à l’étranger. Au télégramme qui lui annonce :« Félicitation Commandant, c’est une fille » « », il fait une réponse à sa femme reflétant son humour argentin « Si c'est une fille, jette-la par-dessus le balcon ! ».
Même la dernière page de son journal de Bolivie reflète cet humour, dans cet ultime cas désespéré. Deux jours avant sa mort, alors que ses hommes et lui sont encerclés, affamés et épuisés, il écrit : « Les onze mois de notre commencement de guerilla se terminent sans complications, bucoliquement.. »
La pensée de Che Guevara
La révolution
Che Guevara considérait la lutte armée et la révolution socialiste comme le seul moyen d’améliorer les conditions de vie des pauvres d’Amérique latine, exploités par les États-Unis d'Amérique selon lui. Son point de vue révolutionnaire suivait ceux de Marx et Lénine, qu’il avait étudié exhaustivement. La révolution en Amérique latine passait pour lui par la création de « foyers » de guérilla (focos) dans un pays où existaient des « conditions objectives » pour une révolution. Ces focos permettent de réunir les « conditions subjectives » pour un soulèvement général de la population. Il pensait qu’il y avait un lien étroit entre la guérilla, les paysans et la réforme agraire. Cette position différait de la pensée soviétique et se rapprochait des idées maoïstes. Il salua d’ailleurs le début de la « Révolution culturelle », qui allait faire, peu après son exécution, entre 500 000 et 20 millions de morts.
S’il admire depuis ses voyages et ses lectures le modèle soviétique et Staline, il commence à les critiquer sévèrement dès son passage au gouvernement cubain, et développe sa propre théorie économique communiste, pour lui plus moderne et plus adaptée aux besoins du tiers monde. Ses derniers discours furent des critiques violentes contre l’exploitation du tiers-monde par les blocs communiste et capitaliste, ce qui était à l’opposé du dogme officiel.
Il résume ainsi l’idéal et le mode de vie du révolutionnaire, qui doit rester pour lui avant tout humain :
« Laissez moi dire, au risque de paraître ridicule, que le vrai révolutionnaire est guidé par un fort sentiment d’amour. Il est impossible de penser à un authentique révolutionnaire qui ne possède pas cette qualité. Les dirigeants de la révolution ont des enfants qui commencent à parler mais qui n’apprennent pas à appeler leur père par leur nom ; ils ont des femmes dont ils doivent être séparés, ce qui fait partie du sacrifice général de leur vie pour le succès de la révolution ; le cercle de leurs amis est strictement limité au nombre de leurs compagnons révolutionnaires. Il n’y a pas de vie en dehors de la révolution. Dans ces circonstances, on doit avoir une grande humanité et un fort sens de la justice et de la vérité pour ne pas tomber dans un dogmatisme extrême ou une froide scolastique, dans une isolation des masses. Nous devons nous efforcer chaque jour que cet amour de l’humanité vivante soit transformé en accomplissements réels, en actes qui servent d’exemple, en une force changeante. »
Cependant, cette vision idéale fait parfois place à la realpolitik, et la fin justifie pour lui les moyens, comme l’avait formulé Nicolas Machiavel. À une personne qui se plaignait à lui à Cuba qu’un de ses amis avait été exécuté parce qu’il distribuait des tracts anti-communistes, Guevara répondit :
« Écoute, les révolutions sont moches mais nécessaires, et une partie du processus révolutionnaire est l’injustice au service de la future justice. »
Contrairement à une croyance très répandue, le Che n’était pas contre le fait qu’un parti révolutionnaire puisse se présenter à une élection. Pour lui la forme révolutionnaire devait être adaptée au moment et au lieu donné :
« Ce serait une erreur impardonnable que de sous estimer ce que peut apporter un programme révolutionnaire par un processus électoral donné. Mais il serait également impardonnable de ne penser qu’aux élections et de négliger les autres formes de lutte. »
Il estimait néanmoins que tôt ou tard, il faudrait en venir à la lutte armée car les opposants risqueraient de faire un coup d’état militarisé pour renverser le régime socialiste élu.
L Ichir
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